Contre les élections, David Van Reybrouck

Depuis quelques semaines, je cherche une bonne introduction à ma présentation de ce livre. Et puis aujourd'hui, j'apprends que nos camarades américains viennent d'élire à leur présidence Donald Trump... La voilà, mon introduction !

La plus grande société qualifiée aujourd'hui de « démocratie » vient de désigner, pour la diriger, un homme dont la liste des travers d'ordre moral et éthique pourrait constituer un article entier. Racisme, sexisme, accusations de viol, suprémacisme blanc, homophobie, haine... Le monsieur cumule un sacré paquet de comportements qui sont, par ailleurs, répréhensibles par la loi. Or ce même monsieur va donc, d'ici quelques mois, accéder à la fonction politique suprême de notre monde actuel. Comment cela est-il possible ? Et surtout, comment faire pour que ça ne se reproduise plus ?

Je ne crois pas que ça soit la faute des abstentionnistes : rien ne permet de dire pour qui ils auraient voté. Je ne pense pas non plus que ce soit la faute des « idiots » : les gens moins éduqués et de basse classe sociale sont plus facilement influençables, peut-on vraiment le leur reprocher ? C'est faire preuve d'élitisme à mon sens. Alors quoi ? Est-ce dans la nature humaine, dans l'attrait de la haine, dans la facilité du reproche sur l'autre ? Ou bien est-ce qu'il n'y aurait pas, dans notre société, dans les règles du jeu, des mécanismes qui auraient pu favoriser cet évènement ? 1

Je pense que l'on ne regarde pas au bon endroit. Si nous trouvons inadmissible que l'on puisse donner tel pouvoir à un être aussi manifestement mauvais, pourquoi ce pouvoir existe-t-il en premier lieu ? Pourquoi délègue-t-on notre pouvoir à d'autres, qui trahissent si facilement notre confiance, au lieu de l'exercer nous-mêmes ? Pourquoi ne disposons-nous d'aucun mécanisme de contrôle sur ceux qui sont censés nous représenter, autre que la risible menace de ne pas revoter pour eux ?

Il me semble que le problème est systémique. Notre système politique n'a jamais été conçu comme un système démocratique. Il a été créé pour assurer le gouvernement de la nation à la classe bourgeoise. Les penseurs de ce système le savaient pertinemment et ne le cachaient pas : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suffrage par le choix est celle de l'aristocratie », écrivait en 1748 Montesquieu dans De l'esprit des lois. Ces gens estimaient, peut-être à raison, que le peuple n'avait pas la capacité à se gouverner lui-même, à discerner ce qui est bon pour son intérêt, et qu'il valait mieux laisser cette responsabilité à une élite éduquée et riche. Mais est-ce encore justifié aujourd'hui ?

Notre système politique n'a jamais été conçu comme un système démocratique.

La démocratie, la vraie, ne peut pas se faire par l'élection. Cela fait 200 ans que cela nous est démontré. Il faut donc se rappeler que les règles qui régissent notre société ne sont pas des lois divines intouchables ou sacrées. Elles ont été créées de toute pièce par des humains comme nous, et il ne tient qu'à nous d'en créer de nouvelles. Nous pouvons changer le monde dans lequel nous vivons, nous pouvons ré-écrire les règles du pouvoir, nous pouvons choisir de chercher la démocratie plutôt que de nous abandonner lascivement dans la facilité de l'aristocratie. Prenons nos responsabilités. Arrêtons de blâmer les représentants, les électeurs, les abstentionnistes, bref, les « autres ». Acceptons le fait que si le monde ne va pas bien, c'est aussi de notre faute. Arrêtons de nous laisser gouverner, d'éteindre nos cerveaux pendant des années pour ne les rallumer qu'une fois de temps en temps quand on nous demande de voter. La politique est un muscle : si on ne s'en sert pas, il s’atrophie, et il devient de plus en plus difficile de s'y remettre. La seule chose à faire, c'est de reprendre les exercices le plus tôt possible. Attendre ne fera qu’aggraver les choses.


Je ne fais ici qu'effleurer ces sujets. Tout ceci est amplement développé dans « Contre les élections », de David Van Reybrouck, paru en 2014. C'est le livre le plus accessible et le plus agréable que j'ai lu jusqu'à maintenant sur le sujet de la démocratie. De l'analyse des travers du système politique actuel à la présentation d'alternatives concrètes, en passant par du contexte historique, tous les points importants pour comprendre les enjeux de la véritable démocratie y sont, et de manière abordable. J'estime que cet ouvrage constitue la meilleure introduction à ces questions aujourd'hui, et c'est celui que je recommande autour de moi à présent.

C'est un point d'entrée, qui peut mener à bien des choses. L'important pour moi, c'est de remettre en question ce qu'on nous assène en cours d'éducation civique, de développer son esprit critique, d'essayer de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Quelles que soient les conclusions que vous en tirez, l'important c'est d'y avoir réfléchi. Finalement, est-ce que ce n'est pas ça, faire de la politique ?

« Contre Les Élections » de David Van Reybrouck

Traduction française par Isabelle Rosselin et Philippe Noble
Paru en février 2014 aux éditions Actes Sud
Disponible en format ePub ou papier

Couverture du livre Contre les élections

Crédits photo bannière : CC-BY-NC Marc Delforge (source)

  1. Je coupe volontairement court à mon analyse de cette élection, car ce n'est pas le cœur du sujet. Si vous souhaitez en savoir plus, voici quelques ressources : Sur ce qu'est le racisme - Répartition des votants par catégorie sociale - Sur le vote des femmes blanches pour Trump (en)